Ce recueil rassemble vingt-sept articles et une recension, édités entre 1976 et 2006. Ils traitent des relations entre normes juridiques, idéologie et pratiques sociales à Byzance. Les articles les plus anciens ont accompagné l'élaboration des deux volumes consacrés au Statut de la femme à Byzance (IVe-VIIe siècle). Les suivants ont élargi la perspective d'un point de vue chronologique et thématique. Ils se sont intéressés à des périodes plus tardives, à propos du rôle des femmes en justice ; ils ont aussi confronté les normes restrictives du droit canonique élaboré au XIIe s. et le rôle joué par les femmes dans l’Église pendant toute la période byzantine. Ils se sont surtout concentrés sur la question des patrimoines et de leur transmission, notamment la confection des testaments – tel celui de Grégoire de Nazianze – ou le respect, variable, du droit impérial. Des questions sociales plus vastes ont été prises en compte, comme la transmission différenciée ou non des biens aux lignées masculines et féminines, ainsi que l'exclusion des filles dotées. Deux articles, enfin, ont pris position sur des problèmes généraux très disputés : l'ampleur de la christianisation du droit à Byzance et l'application de la législation impériale dans les provinces orientales, principalement en Égypte.
I. Le vocabulaire de la faiblesse féminine dans les textes juridiques romains du IIIe au Vie siècle
II. La situation juridique de la femme à Byzance
III. L’allaitement : mère ou nourrice ?
IV. La référence au veuvage dans les papyrus byzantins
V. Au xie siècle, Byzance : le jeu des normes et des comportements
VI. ΠΡΟΙΚΟ∙Υ∙ΠΟΒΟΛΟΝ – ΥΠΟΒΟΛΟΝ – ΥΠΟΒΑΛΛΩ
VII. L’Égypte byzantine : Biens des parents, biens du couple ?
VIII. Organisation domestique et rôles sexuels : les papyrus byzantins
IX. Discours et normes : La faiblesse féminine dans les textes protobyzantins
X. Difficile et dissimulée : La rébellion contre la famille à Byzance (IVe-VIIe s.)
XI. Les filles et la transmission du patrimoine à Byzance : dot et part successorale
XII. Tester en grec à Byzance
XIII. Le testament de Grégoire de Nazianze.
XIV. Les femmes et l’espace public à Byzance : le cas des tribunaux
XV. Byzance et l’héritage latin : le discours juridique du VIe au Xe siècle
XVI. Incapacité féminine et rôle public à Byzance
XVII. Exclues et aliénées : les femmes dans la tradition canonique byzantine
XVIII. Le droit successoral relatif aux curiales : Procope et Justinien
XIX. Femmes, patrimoine, Église (Byzance, IVe-VIIe siècle)
XX. Les femmes et l’Église : droit canonique, idéologie et pratiques sociales à Byzance
XXI. Apion et Praejecta : hypothèses anciennes et nouvelles données
XXII. La transmission du patrimoine : législation de Justinien et pratiques observables dans le papyrus
XXIII. Législation et refus de(s) dieu(x) dans l’Antiquité tardive
XXIV. Assistance judiciaire aux femmes et rôle du mari d’après les papyrus byzantins
XXV. La christianisation du droit à Byzance : l’exemple du statut des femmes
XXVI. L’histoire du droit byzantin face à la papyrologie juridique : Bilan et perspectives
XXVII. La législation matrimoniale à la lumière de la Novelle 22 de Justinien
XXVIII. Les « habits neufs » du droit antique
Index des sourcesEN GUISE D’AVANT-PROPOS :
GENESE D’UNE RECHERCHE ET NAISSANCE D’UN RECUEIL
Aussi loin qu’il m’en souvienne, j’ai toujours voulu « faire de l’histoire ». J’ignore d’ailleurs pourquoi. Pendant toute ma jeunesse, cette volonté s’est maintenue en ce lieu enchanteur qu’était alors le lycée Victor-Duruy (avant les empiètements opérés par le Conseil régional) avec son immense parc, ses vastes pelouses chatoyantes et ses marronniers roses et blancs ; divers enseignants et autres conseillers ont cherché à me détourner d’un choix déraisonnable à leurs yeux : « n’importe qui peut faire de l’histoire, alors que les mathématiques… ». J’ai maintenu ma décision et suis passée de « Math. élem. » à une hypokhâgne dans ce même Éden. L’année qui suivit, en khâgne à Fénelon, reste dans ma vie comme une page blanche – sans doute à cause de la charge de travail, de la tension du concours tout proche, mais aussi de la cour de prison qui s’était substituée à un parc tant aimé. Heureusement, l’enseignement reçu et le travail acharné m’ont permis d’intégrer dès la première tentative l’École normale supérieure (celle de Sèvres, ainsi qu’on l’appelait encore à l’époque), comme cacique qui plus est. Si l’enseignement de l’histoire y était alors très limité, on ne pouvait rêver mieux comme lieu d’indépendance, mais aussi de rencontres enrichissantes. Vivre là les changements liés à l’année 1968, avec l’impression que le monde pouvait devenir meilleur, a été particulièrement mémorable.
Les choix de recherche se sont évidemment précisés l’année de la maîtrise, puis l’année de réflexion qui a suivi l’agrégation d’histoire et géographie. Ma deuxième passion, après l’histoire, était le grec. J’ai donc suivi ou fréquenté brièvement à peu près tous les cours sur la Grèce ancienne qui se donnaient au centre de Paris (Sorbonne, École pratique des Hautes Études, Collège de France), à l’exception, qui me reste incompréhensible, de l’EHESS. Il m’est plus ou moins vite apparu que je n’étais pas faite pour la numismatique, ni pour la géographie historique, et encore moins pour l’archéologie. Le sort a joué alors le rôle décisif. Par le plus grand des hasards, je me suis trouvée aux côtés d’Hélène Ahrweiler, au moment où elle entrait pour la première fois dans Sainte-Sophie. L’impression fut si forte que, quelque temps plus tard, je suis passée de l’histoire de la Grèce ancienne à celle de Byzance, à vrai dire surtout celle de l’Antiquité tardive, qui m’éloignait moins des siècles étudiés jusque-là.
Il y eut quelques tâtonnements avant de trouver un sujet de thèse d’État. Au début des années soixante-dix, les exigences en ce domaine étaient toujours très grandes, particulièrement chez les historiens. Il était hors de question de présenter la traduction et le commentaire d’une seule source, si importante ou longue fût-elle, ou de donner la bibliographie raisonnée d’un sujet. Il fallait affronter un « problème historique », et lui consacrer dix à quinze ans de sa vie. Finalement, je me suis décidée à étudier le statut des femmes dans l’Empire byzantin des ive-viie siècles. Ce choix n’avait rien à voir avec la vogue des gender studies, qui n’émergeait alors que dans le monde anglo-saxon. La question posée était tout autre. Selon une idée reçue chez de nombreux historiens, la condition féminine aurait connu d’importantes modifications lors du passage de l’Antiquité au Moyen Âge, changements qui seraient liés à la diffusion du christianisme ; mais alors que les uns soutenaient que la condition féminine s’était améliorée et voyaient dans le christianisme un facteur de promotion, les autres affirmaient qu’il y avait eu détérioration, en invoquant la même influence chrétienne. Les deux volumes de 1990 et 1992 sur Le statut de la femme à Byzance (4e-7 e siècle) ont cherché à donner une réponse, au moins partielle, à ce problème à partir de l’ensemble des sources de la période (juridiques, papyrologiques, épigraphiques, littéraires).
Parmi les 28 études rassemblées ici, un grand nombre prolonge et complète cet ouvrage initial, en approfondissant tel ou tel aspect de la condition féminine. En dehors d’un article sur la question de l’allaitement par la mère ou du recours à une nourrice et d’un autre sur l’organisation domestique et les rôles sexuels, ces recherches portent sur les normes juridiques – celles du droit impérial, mais aussi celles élaborées peu à peu par l’Église – et leurs rapports complexes avec les pratiques sociales. Les études ponctuelles sur la faiblesse féminine ou la mention du veuvage ainsi que les recherches plus générales sur la situation de la femme à Byzance ou sur le jeu des normes et des comportements au xie siècle ont accompagné l’élaboration de la thèse d’État. Les suivantes ont complété les résultats concernant le rôle des femmes en justice, comme témoins ou comme plaignantes, en étendant la recherche à des périodes plus récentes, notamment à la réforme très débattue introduite par Léon VI et aux données du Registre patriarcal au xive siècle ; le rôle joué en ce domaine par le mari a également été étudié plus systématiquement. D’autres articles ont envisagé de plus près la place accordée aux femmes par le droit canonique, mais aussi la question des largesses féminines faites à l’Église et celle de leur rôle dans la défense de la foi. Plusieurs articles ont été consacrés au problème des patrimoines et de leur transmission, dont l’ouvrage initial sur Le statut de la femme, centré sur le statut personnel des femmes, ne traitait pas. Ont été ainsi abordés quelques problèmes historiques disputés comme celui de l’exclusion des filles dotées, la transmission différenciée des biens en ligne masculine et féminine, ou encore la communauté des biens dans le couple. En réétudiant le récit célèbre de Procope sur l’avidité de Justinien, porté selon lui à se saisir par tous les moyens des fortunes curiales, je suis arrivée à une conclusion différente de l’interprétation traditionnelle : on aurait simplement affaire à l’application du droit impérial, dont Procope a une bonne connaissance mais qu’il présente avec des biais trompeurs. De même, la place marginale généralement accordée à Praejecta, grande dame de la famille des Apions qui porte un nom « impérial », m’a semblé témoigner d’une résistance des historiens contemporains à admettre qu’une femme ait pu être héritière de plein droit. Ces recherches m’ont menée à m’intéresser aux testaments, tant d’un point de vue formel (la question de l’usage du grec) qu’à propos du rapport entre leur contenu et les normes du droit impérial. Il en a résulté une édition critique (avec traduction et commentaire) du testament de Grégoire de Nazianze – le seul acte de ce genre conservé en dehors des papyrus, par une tradition manuscrite –, qui se présente comme un testament véritablement romain. À l’occasion du Congrès international de 2001, une étude plus ample (parue en 2005) a tenté de faire le point sur les rapports entre le droit byzantin et la papyrologie juridique et l’intérêt que présente leur confrontation. Les études générales sur la christianisation du droit à Byzance ou sur la Novelle 22 de Justinien relative aux remariages restent dans le prolongement de la recherche initiale, de même, dans une certaine mesure, que l’article ponctuel sur la rébellion familiale, né d’un colloque. Ceux sur l’« athéisme » dans la législation de l’Antiquité tardive et sur les notions de « public » et de « privé » ont été suscités de l’extérieur.
Dans ces articles qui s’étendent sur trente ans, l’histoire du droit a pris une part prépondérante et l’étude de textes latins a concurrencé celle des sources grecques. Cette « déviation » par rapport à mes motivations de jeunesse reste pour moi opaque. Je peux seulement dire que l’histoire « tout court » et le grec ont retrouvé une place prépondérante dans deux autres champs de recherche, dont le présent recueil n’avait pas à tenir compte : la chronique universelle de Jean Malalas et les relations entre Byzance et les pays riverains de la mer Rouge au vie siècle.
Sans Jean-Claude Cheynet et Constantin Zuckerman ce livre n’aurait pu être envisagé ; sans l’aide infatigable d’Artyom Ter-Markosyan Vardanyan, ainsi que d’Emmanuelle Capet et Michel Stavrou, sa réalisation aurait été impossible. Que tous soient ici remerciés. |